15/06/2016
Chimamanda Ngozi Adichie : Americanah
Chimamanda Ngozi Adichie est née en 1977 au Nigeria. A l’âge de 19 ans, elle quitte son pays pour les Etats-Unis, d’abord à Philadelphie puis dans le Connecticut afin de vivre plus près de sa sœur. Elle poursuit là ses études en communication et en sciences politiques et en 2001, elle y décroche son diplôme universitaire avec mention avant d’achever ensuite un master en création littéraire à l’université Johns Hopkins de Baltimore en 2003. Paru en 2014, Americanah, vient d’être réédité en poche.
Ifemelu, l’héroïne de ce roman, quitte le Nigeria pour aller faire ses études à Philadelphie. Elle laisse derrière elle son grand amour, Obinze, un admirateur de l’Amérique qui compte bien l’y rejoindre.
Ne pouvant vous résumer tout ce qu’il y a dans ce gros bouquin, je préfère vous la faire extra-courte en n’en dévoilant que le fil rouge. Un fil ténu entre le Nigeria où ils se rencontrent et leurs retrouvailles, une petite vingtaine d’années plus tard en ce même pays, Ifemelu ayant entretemps comme Ulysse fait un beau ( ?) voyage aux Etats-Unis, devenant une Americanah, mot familier des Nigérians pour désigner quelqu’un qui s’est « américanisé ».
Ce roman, c’est donc et surtout le récit de ce séjour en Amérique quand on est une africaine. Femme et africaine, deux valises lourdes à porter mais Ifemelu ne manque pas de caractère, « Elle avait toujours aimé cette image d’elle-même, la fille qui créait des ennuis, qui était différente, et elle pensait parfois que c’était une carapace qui la protégeait. » Elle va découvrir le racisme rampant et sournois, prendre conscience de son africanité et de sa peau noire au contact des américains mais aussi des autres expatriés de sa communauté, ou pas. Ifemelu va connaitre quelques hommes, plusieurs villes, Philadelphie, Baltimore, Brooklyn… chercher de petits boulots pour financer ses études mais aussi vivre la belle vie. Toujours elle gardera un regard critique et observateur qu’elle exploitera en créant un blog analysant la situation sociale, comme avec ce billet « Comprendre l’Amérique pour les Noirs non américains : A quoi aspirent les WASP ? ».
Là réside tout le sel de ce splendide roman. Chimamanda Ngozi Adichie évoque le racisme sans être moralisatrice ou culpabilisante, amusante même, « En Amérique, les Blancs pensent : « Je ne toucherai pas à une femme noire mais je pourrais peut-être me faire Halle Berry. » Comment conserver son identité quand on s’exile dans un pays de culture si différente ? Et comme si le sujet n’était pas assez vaste, elle rajoute à ce thème celui de la place de la femme dans la société. Refusant ce que nombre de ses amies recherchent, un homme qui leur assurera une vie aisée prioritairement à l’amour.
Je déteste les gros romans, mais là même s’il est long, il n’y a aucune longueur malgré ses près de sept cents pages ! Chacune est « intéressante » car elle nous dit quelque chose, l’écriture est dense mais rien n’est gratuit et fait sens. Un livre qui fait réfléchir mais loin d’être un pensum, au contraire. Chimamanda Ngozi Adichie écrit comme un torrent et semble intarissable, noyant le lecteur sous la profusion, mais il l’accepte et consent, subjugué par la force puissante émanant des lignes de ce très bon livre d’un très grand écrivain.
« Il n’était pas retourné au Nigeria depuis des années et peut-être avait-il besoin du réconfort de ces groupes d’internautes, des petites remarques qui fusaient et explosaient en attaques personnelles, des insultes qui volaient de part et d’autre. Ifemelu en imaginait les auteurs, des Nigérians habitant de sinistres maisons en Amérique, leurs vies écrasées par le travail, économisant toute l’année afin de pouvoir passer une semaine au pays, en décembre, arriver avec des valises pleines de chaussures, de vêtements et de montres bon marché, et voir, dans le regard de leurs familles, une image exaltée d’eux-mêmes. Ensuite ils retourneraient en Amérique pour défendre sur Internet les mythologies de leur pays, car leur pays était maintenant un endroit indistinct entre ici et là-bas et, sur le Net au moins, ils pouvaient ignorer à quel point ils étaient devenus insignifiants. »
Chimamanda Ngozi Adichie Americanah Folio - 685 pages –
Traduit de l’anglais (Nigeria) par Anne Damour
« Il avait pris le volant. Il mit le contact et la musique retentit aussitôt. Le « Yori Yori » de Bracket. « Oh, j’adore cette chanson » dit-elle. Il monta le volume et ils chantèrent en chœur : il y avait une telle exubérance dans cette musique, dans son tempo joyeux, si dénué d’artifice, qui emplissait l’air de légèreté. » (p. 634)
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